Dans cette énumération, nous avons remarqué que les
trois chevaliers prédestinés incarnent chacun une voie d'accès au Saint
Graal, une voie spirituelle différente et complémentaire.
Chez Galaad, prédomine le détachement, la négation
de l'ego, la voie unitive de la mystique. Chez Perceval, c'est le dévoilement,
les découvertes naturelles, la voie illuminative.
Chez Bohort, c'est l'ascèse, la voie purgative de la mystique.
Ces trois voies, quoique distinctes, sont en réalité indissociables
et doivent se vivre simultanément.
On peut donc discerner trois cheminements possibles, trois "écoles"
spirituelles, dont les différences sont comparables a celles qu'on peut
trouver entre la spiritualité franciscaine, celle des Cisterciens et
celle des Bénédictins, voire entre la règle des chevaliers hospitaliers,
la voie des chevaliers errants et trouvères (trouveurs) et la règle
des Templiers.
Si les chevaliers élus (Galaad, Perceval, Bohort)
et le chevalier sauve (Lancelot) arrivent au château du Graal
par sept étapes chacun, ils changent de monture à la cinquième
étape et chacun de manière différente.
Lancelot, dont les aventures (dans le cycle
Lancelot-Graal) sont 1'expression des trois phases qui constituent 1'initiation
chevaleresque (la faute ou 1'egarement, 1'expiation ou la révélation,
la purification), parvient après sa conversion au bord de la
rivière marcoise. Un chevalier noir surgit de 1'eau et "tue"
son cheval (c'est l'erreur ou le "mal" qui sort du chaos pour
détruire son énergie vitale). II s'abandonne à
Dieu qui lui envoie la nacelle ou gît la soeur de Perceval.
Perceval, dont la structure légendaire est analogue à
celle de Lancelot, "perd" son cheval au combat puis se fait
prêter un autre cheval qui est "tué" sous lui.
Après diverses tentations, il lui est envoyé la nef.
Bohort, au moment de monter dans la nef
"oublie" d'embarquer son cheval.
Galaad, lui, laisse consciemment son cheval
sur la rive avant d'embarquer. Plus tard, pour achever sa queste, il
lui sera amené un cheval blanc par le chevalier blanc (représentation
de saint Michel et de la fonction sacerdotale vers laquelle s'achemine
Galaad, évoquée par la couleur blanche).
A partir de la cinquième étape, les chevaliers ne se dirigent
plus par eux-mêmes mais sont dans une arche guidée invisiblement
par la main de Dieu. Changer de monture signifie donc changer d'état,
abandonner son individualité pour se laisser guider par son pore
spirituel. C'est au cours de cette traversée des eaux primordiales
que 1'être, étant nettoyé et dégagé
de ses accrochages inférieurs, peut accéder à un
degré supérieur de réalisation. Ces changements
de véhicules symbolisent une mort initiatique.
Ces sept étapes correspondent aux sept sphères planétaires,
ainsi quo, dans le cas de Bohort, aux sept phases de 1'ceuvre alchimique.
Les métaphores des récits font référence
à l'arbre de vie, arbre de la connaissance, dissimulé
derrière la forêt Gaste, lieu primordial, où se
déroule la recherche du sang divin qui restaure 1'etat édénique.
L'arbre de vie prit comme image du monde le tronc représentant
l'axe du monde, autour duquel s'ordonnent et se hiérarchisent
les existences de l'être.
Chacune des étapes est marquée par 1'accomplissement d'une
action dans un lieu symbolique qui est en affinité avec la nature
de la voie de chacun. Bohort passe par de nombreux châteaux en
pierre, Perceval, lui, traverse la nature et la forêt Gaste et
ne rencontre aucun château. Galaad, lui, passe aussi bien par
la nature quo par les châteaux.
Avant de parvenir au château du Graal, les trois chevaliers n'obtiennent
le "passage" que par le sacrifice de la sur de Perceval,
vierge et fille de roi, qui livre son sang pour guérir la lépreuse,
après avoir abattu les dix chevaliers qui gardaient son château.
Ils ne peuvent donc atteindre leur transformation personnelle qu'après
avoir vaincu les dix aspects ténébreux de "1'arbre
de la mort" et avoir accompli la régénération
de la nature humaine déchue (symbolisée par la demoiselle
lépreuse) par 1'effusion du sang vierge et royal de la "demoiselle
qui jamais ne mentit", qui symbolise la part divine de leur être.
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