Extrait du livre "SORCIERES" D'Erica Jong

Un peu de lumière sur la sorcellerie
Sorcière, sorcellerie, ensorceler. Les mots mêmes sont imprégnés de mystère et de magie. Nos bibliothèques et librairies abritent d'innombrables ouvrages sur ce sujet. Les adolescents les feuillettent, à la recherche d'un charme capable de supprimer les frustrations multiples qui seront probablement les leurs... La sorcellerie fascine poètes et romanciers, dont le travail quotidien consiste à faire jaillir une source invisible et souvent énigmatique pour eux-mêmes.

Le mot sorcellerie, dans son acceptation la plus ordinaire, populaire, renvoie à l'emploi de forces surnaturelles pour soumettre le monde à ses désirs. La sorcière est celle qui a recours à des moyens magiques pour arriver à ses fins. Il est donc normal que nous désirions tous et toutes devenir sorciers et sorcières !.. Le mot sorcière contient toute l'histoire de notre culture et de ses expériences religieuses. Comprendre le mot sorcière c'est comprendre l'anthropologie, l'histoire, l'histoire des religions, l'évolution des rapports entre les sexes, l'inconscient de l'être humain... Pour comprendre les sorcières, nous devons nous débarrasser des œillères qui nous font croire que la divinité est masculine ; que la lune est lugubre alors que le soleil est amicale ; que le principe féminin est sombre, chaotique, anarchique, alors que le masculin est ordonné, rationnel, sage. Bref nous devons écarter toutes les opinions préconçues, dont notre culture a bourré nos têtes consentantes. Nous devons comprendre que la plupart des grandes religions du monde contemporain (musulmane, juive, chrétienne) sont, en un sens, autant d'apologies d'une conception patriarcale du monde, que ce n'est pas la seule conception du monde possible, qu'elle n'est ni absolue, ni éternelle, que les êtres humains ont adoré des dieux et des déesses sous des multiples formes - arbre, animal, humain (femme aussi bien qu'homme, androgyne aussi bien qu'asexué)- et que les traits particuliers de la divinité importent moins que de reconnaître un esprit divin en nous et en dehors de nous.

De la Déesse Mère à la Sorcière
Voici cinq mille ans dans l'ancienne Babylone nos ancêtres adoraient la reine du Ciel comme divinité suprême et plusieurs millénaires de guerres, d'oppressions, de génocides, d'holocaustes, d'iconoclastie, d'autodafés, et de réécriture délibérée des mythes et des légendes furent indispensables pour que le dieu le père, Yahvé et son fils Jésus règnent désormais sans partage sur nos esprits et nos imaginations. Dans notre civilisation acculée à la banqueroute spirituelle, trois figures témoignent de l'antique Déesse Mère : la Sorcière Maléfique, la Vierge Marie et la conception folklorique de "Mère Nature" - puissant paradigme de la fécondité, aujourd'hui avili en personnage de dessin humoristique. Quant à la sorcière maléfique, elle est autant mère que harpie - méchante, débordant d'une sexualité prohibée qui a dégénéré en sortilège, poison et maléfice. La Vierge Marie est une version aseptisée de la Déesse Mère - aseptisée et fragmentaire. Elle est femme castrée de sa sexualité, femme donnant la vie sans rapport sexuel, femme en tant qu'hymen intact, femme-enfant, symbole de la "femme eunuque" que le Christianisme a imposé à la moitié de l'espèce humaine au prix exorbitant de sa survie sur la terre. Qu'elle importance cela a t-il de couper la femme de sa sexualité ; de ne lui permettre d'endosser que deux rôles : la sorcière maléfique ou la vierge aseptisée ?
L'antique Déesse Reine du Ciel est également connue sous le nom d'Isis chez les Egyptiens celui d'Ishtar chez les Assyriens, Innanna chez les Sumériens et Astarté chez les Phéniciens, elle s'incarne aussi en Vénus/Aphrodite.

Du Paganisme au Christianisme
Au temps préhistorique les humains adoraient des divinités fort différentes de celles que nous adorons aujourd'hui. L'une d'elle était la Déesse Mère ou la Reine du Ciel, qui incarnait la création, la naissance, la cueillette, la récolte et les mois d'été l'autre était le Dieu Cornu incarnant la chasse et les mois d'hiver. L'année était divisée entre l'adoration de ces deux divinités. Ces dieux étaient très anciens et puissants. Même quand le Christianisme devint la religion établie il ne put supprimer leur culte. Dans toute l'Europe les paysans s'obstinèrent à les adorer longtemps après que les Rois et les Cours se fussent converti au Christianisme. Des prêtres chrétiens étaient même initiés au mystère païen. Tant que les chrétiens eurent intérêts à tolérer le Paganisme - et ils n'avaient pas le choix vu que les païens étaient plus nombreux qu'eux, dieux et païens furent accueillis dans le panthéon chrétien en tant que saint et les fêtes païennes transformées en fêtes chrétiennes. Ainsi en choisissant de faire naître le Christ un 25 décembre 4 jours après le solstice d'hiver, les chrétiens voulurent attirer les adorateurs du soleil dans le giron de la chrétienté car à l'origine c'était leur jour de fête.
Par contre quand les chrétiens furent solidement implantés, quand ils furent devenus des seigneurs temporels autant que spirituels ils commencèrent à persécuter systématiquement le paganisme à fin de le supprimer. Ce fut alors que les païens passèrent dans la clandestinité, ce fut alors que les chrétiens nommèrent leurs dieux démons et qualifièrent de démoniaque leur pratique religieuse. Ce qui persistaient à honorer les anciens dieux le faisait en secret ils se rencontrèrent dans des lieux isolés. Leur dieu Cornu les chrétiens l'appelaient maintenant le diable, la grande mère fut métamorphosée en mère vierge du christ gommé, son pouvoir de génitrice à celui d'intercesseur entre l'homme et un dieu viril ainsi le paganisme fut-il d'abord toléré puis assimiler enfin éliminer sans pitié. Ceux qui continuaient à adorer les anciens dieux furent nommés sorciers et sorcières.
La sorcellerie représente donc un exemple de religion ancienne s'attardant dans un monde chrétien conservant son pouvoir sur le peuple malgré le bûcher la persécution de ses adorateurs, malgré la proscription et les sévices dont furent victime les anciens dieux. Au cours de l'évolution des religions le dieu de l'ancienne religion devient toujours le diable de la nouvelle.

Sorcières et chasse aux sorcières
La sorcellerie a toujours existé ; par contre la chasse aux sorcières est un phénomène historique spécifiquement moderne - comparable au nazisme et au stalinisme - par lequel d'innombrables êtres humains(surtout des femmes) furent soumis par d'abjectes tortures par leur semblable (surtout des hommes) et condamnés à une mort atroce pour des crimes que nous considérons aujourd'hui comme parfaitement imaginaires. Elles ne furent pas persécutées par la populace mais bien par les hommes les plus cultivés, religieux et érudits de leur temps... Les individus qui se prétendent sorciers ou magiciens ont toujours existé ainsi que d'autres individus qui croient en leurs pouvoirs. Mais ce ne fut qu'à une époque bien défini de l'histoire du XIV au XVIIème siècle que le pouvoir de l'Etat et celui de l'Eglise firent cause commune pour exterminer les soi-disant sorcières. Durant cette période un demi-million de personnes environ - davantage selon certains chroniqueurs - furent exécutés pour sorcellerie (neuf millions selon certains chroniqueurs).
Pourquoi la persécution des sorcières prit-elle de telles proportions à cette époque au début du Moyen Age, l'église soutenait officiellement que le vol des sorcières à travers les airs était une illusion créée par le diable mais au début de la période moderne, du quatorzième au dix septième siècle, la doctrine officielle de l'Eglise sur ce sujet se transforma et il devin hérétique que le vol des sorcières avait effectivement lieu. Des centaines de milliers de personnes (peut-être des millions) - des femmes dans 80 pour cent des cas - furent brûlées parce qu'elles avaient "confessé" ce qui était officiellement impossible, 500 ans auparavant à savoir qu'elles volaient à travers les airs pour participer à des sabbats où elles retrouvaient le diable, avaient des rapports sexuels avec lui et lui juraient fidélité éternelle.

Alors que la société sectes hérétiques et jacqueries paysannes menaçaient de plus en plus l'Eglise. Afin de conserver sa domination sur le peuple l'Eglise se disculpa ainsi que la noblesse du désastre économique et social, en en rejetant la faute sur ces femmes qui volaient dans les airs, gâchaient les récoltes, tuaient les bébés, propageaient la peste parmi les animaux et semaient le trouble dans le corps politique. La chasse aux sorcières permit de disculper la classe dominante et l'Eglise en transformant les pauvres, malheureux et femmes en autant de boucs émissaires. Ainsi, l'Eglise s'affirmait en tant qu'apparente protectrice du peuple contre les forces du mal, au moment même ou le peuple commençait à douter de la magie de l'Eglise et peut être à se demander si, tout compte fait il avait réellement besoin de l'Eglise. On eut recours à la torture pour fabriquer les indispensables boucs émissaires moyennant quoi la société négocia le passage du monde médiéval au monde moderne, en assurant la pérennité du pouvoir de la classe dominante. Quand au 18 ou 19ème siècle il devint inutile de faire jouer aux sorcières le rôle de boucs émissaires, le personnage de la sorcière fut relégué dans les nouvelles, les poèmes et les mythes pour être ressuscité, au début du 20ème par une moyenne et grande bourgeoisie éduquée, lassée des religions conventionnelles et désireuses de faire revivre les dieux baroques de l'antiquité.
Non la sorcière n'est pas morte ; elle hiberne simplement. Quant à la chasse aux sorcières, elle est loin d'être morte, elle attend simplement de renaître sous un nom différent.

Sur la torture
Au cours des trois siècles que dura la chasse aux sorcières, les tortures infligées pour arracher des confessions aux prétendues sorcières furent si horribles qu'on hésite même à les décrire. En tout cas dès que l'accusation de sorcière fut proférée la malheureuse femme n'avait aucune chance de sauver sa vie. Se posait seulement la question de savoir combien de temps durerait les tortures combien d'autres femmes seraient compromises et si la prétendu sorcière serait magnanimement étranglée avant d'être brûlée... Pendant la persécution des sorcières, ces tortures furent perpétrées par des hommes qui se considéraient comme les seuls authentiques représentants de dieu sur terre. Le Diable lui-même aurait eu bien du mal à égaler leur férocité.

Sorcières et hérétiques
On a accusé des mêmes crimes sexuels les sorcières et les sectes hérétiques comme les Albigeois ou les Vaudois. Les sorcières comme les hérétiques menacèrent le primat de l'Eglise en osant prétendre à une révélation personnelle de la divinité.
Qu'est ce qu'une hérésie ? Selon St Thomas d'Aquin, l'hérésie est une erreur religieuse dans laquelle on persiste sciemment, bien que l'Eglise ait défini et proclamé la vérité de manière péremptoire. En 1215 le concile de Latran décréta que tous les hérétiques seraient non seulement excommuniés mais punis de mort. Cette conception selon laquelle on pouvait et devait mettre à mort à cause de celui qui croyait ou refusait de croire posa les fondements théologiques des chasses aux sorcières ultérieures. La sorcellerie était une hérésie par conséquent passible de mort. Pour comble d'ironie hérésie vient d'un mot grec signifiant libre choix. ... Si nous voulons comprendre pourquoi la misogynie de l'Eglise n'est devenue aussi meurtrière qu'à la fin du Moyen Age, pourquoi la sorcellerie qui dans le monde entier existe dans toutes les cultures n'a été identifiée à une hérésie chrétienne qu'à la fin du Moyen Age, il nous suffit de réfléchir à la situation de l'Eglise à cette époque. Menacé par des schismes, critiqué pour le relâchement de ses mœurs, elle devait absolument détourner vers une autre cible les attaques dont elle était l'objet.

Satanisme et Sorcellerie
La sorcellerie pâtis souvent d'être confondu avec le satanisme, la sorcellerie est la survivance de l'antique paganisme alors que le satanisme est l'inversion du christianisme. Les satanistes acceptent le dualisme chrétien du bien et du mal contrairement aux païens et choisissent d'adorer le mal plutôt que le bien. A l'inverse pour les païens, le bien et le mal sont intimement liés et indissociables. Pour eux les divinités ont plusieurs aspects : créations, destructions, conservations.
Dans sa forme la plus pure la religion des sorcières est une ancienne religion naturelle et chamanistique implantée en Europe... Pour le païen, qu'intéresse la transcendance non la revanche le Christ passe pour un prophète, un bodhisattva l'un des nombreux maîtres montrant la voie de la libération spirituelle. Quant à la l'Eglise le païen la considère comme une organisation séculière multinationale de l'immobilier, un puissant groupe de puissant intriguant pour opprimer les femmes n'ayant que peu ou pas de rapport avec la transcendance spirituelle.

A quoi ressemble une sorcière ?
Elle est terriblement belle ou horriblement laide ; ensorcelante de grâce physique ou indiciblement hideuse. Qu'il rencontre une affreuse ou belle sorcière l'homme devient la victime du pouvoir féminin condition à laquelle il désire échapper à tout prix. La conception contemporaine de la sorcière hideuse et vieille est intéressant du point de vue du mythe mais ne correspond à aucun document historique. Les sorcières jugées et condamnées étaient aussi souvent jeunes et séduisantes que vieilles et laides. En fait on les dénonçait même parfois à cause de leurs charmes sexuels, à une époque où des phénomènes aussi naturels que l'érection ou les pollutions nocturnes étaient attribué à la sorcellerie... Il est impossible de séparer le sujet de la sorcellerie de celui du sexe.
Le livre "Malleus Maleficarum" rédigé au 15ème siècle par deux Inquisiteurs dominicain contient et cautionne tous les mythes misogynes jamais inventés par l'homme "toute sorcellerie provient du désir charnel lequel est insatiable chez les femmes moyennant quoi, afin de satisfaire leur concupiscence, elles frayent même avec le Diable." Les femmes rendent impuissants, les femmes n'ont ni volonté, ni intelligence, les femmes sont des tentatrices, les femmes ne sont pas faites pour régner ni pour exercer la moindre profession, les sages femmes tuent les bébés...

 

 

SORCIERES DU MOYEN AGE
Héritières du Nouvel Age

Extrait de l'article de Sergine Desjardins
Revue canadienne "Lumière" (octobre 1998)

Au Moyen Age, un demi million de sorcières périrent sur le bûcher, furent noyées ou pendues. Ces actes barbares ont laissé dans notre inconscient collectif l'idée que la sorcière était coupable d'actes maléfiques.

Pourtant, les sorcières du Moyen Âge étaient dans plusieurs cas l'unique médecin du peuple. Elles étaient aussi parfois des sages femmes, des herboristes, des prophétesses, des clairvoyantes et faisaient souvent partie de cercles de prières. A l'instar des sorcières du Nouvel Âge, c'est la magie blanche qu'elles pratiquaient, celle qui procède d'intentions bienveillantes.

Nous sommes à l'aube du XVème siècle. Une femme, nommons là Régine, vêtue d'une robe de bure élimée, passe devant l'église où, comme après chaque messe dominicale, un médecin vend son temps à des malades venus chercher un soulagement à leur malaise. Elles caressent distraitement l'étoile à cinq branches - l'étoile de la sorcière - qu'elle porte au coup et qui symbolise l'énergie féminine. Elle hâte le pas, car les pauvres, ceux qui ne peuvent payer le médecin, l'attendent à sa modeste demeure. Pour l'indigent, elle est la guérisseuse bienfaitrice, celle qui donne des herbes, qui accomplit des rites magiques pour conjurer la maladie, qui prie pour lui, qui concocte des filtres d'amour ou fabrique des talismans. Régine croise le regard courroucé du curé. Il sait qu'elle n'a pas assisté à la messe et qu'elle vient de participer à un rituel de prières auprès du grand chêne situé à l'orée de la forêt. Elle y a rencontré une nouvelle venue. Certains l'appellent la Sage-femme, d'autres la Bella Donna, du nom d'un médicament, la belladone, qu'elle utilise couramment. Régine marche d'un pas alerte, elle se sent en harmonie avec les autres et avec l'univers. Elle ne sait pas qu'une terrible épée de Damoclès est suspendue au-dessus de sa tête et que dans moins d'une journée, elle sera traînée dans les rues de la ville, collier au cou.

Les inquisiteurs sont aux portes de sa localité. Un après-midi même, un juge affichera sur la place publique un avis demandant à chacun "qu'il dénonce dans les 10 jours toute personne soupçonnée d'être hérétique ou sorcière". Régine sera accusée de sorcellerie par un homme à qui elle a refusé ses "faveurs". La sage-femme rencontrée au rituel de prières sera elle aussi arrêtée. On l'a dit coupable d'avoir rendu impuissant le père du dernier bébé qu'elle a aidé à venir au monde. Et une amie de Régine, guérisseuse ayant soulagé des centaines de personnes, a commis une erreur qu'elle paiera de sa vie. En effet, la belladone prescrite à une paysanne venue la consulter a provoqué chez cette dernière des symptômes semblables à la possession diabolique : comportements psychiatriques, dilatation égarée de ta pupille, hallucinations visuelles, respiration désordonnée. Le médecin de l'époque commet la même faute parce qu'il ignore lui aussi qu'un dosage excessif de belladone provoque de telles conséquences.

Mais les médecins, sauf s'ils sont juifs, sont très rarement persécutés par les inquisiteurs. Régine et ses amies sont torturées pendant des jours. Sans répit. Elles finissent par "avouer" qu'elles volent dans les airs, participent à des sabbats, ont des rapports sexuels avec le Diable. Ce qui est faux, bien sûr. Elles disent ce qu'on attend qu'elles disent afin de se soustraire à la souffrance. Elles finissent sur le bûcher, en présence de centaines de gens venus assister à ce "spectacle". Le dernier regard de Régine se pose sur les dizaines de commerçants qui profitent des exécutions publiques pour vendre leurs produits. Toute La richesse dont elle a été privée sa vie durant s'étale sous ses yeux, des bijoux étincelants aux tissus soyeux en passant par l'abondance de nourriture... Elle voit un homme qui se fraie un chemin, portant dans ses bras son chat afin de le jeter dans le brasier.

Comme un demi-million d'autres sorcières-guérisseuses-prophétesses-sages-femmes, Régine implore la Déesse afin qu'Elle abrège ses souffrances. L'histoire de Régine, imaginée à partir de données historiques, s'est répétée maintes et maintes fois au Moyen Âge. Les auteurs qui se sont intéressés à la sorcellerie s'entendent presque tous pour dire qu'un demi-million de femmes furent ainsi exécutées pour sorcellerie au cours de cette période. Ce nombre effarant s'explique par le fait que les femmes de l'époque sont tenues responsables de presque tous les maux. On crie à la sorcière dès que surviennent morts, maladies, bétail perdu, impuissance des hommes, catastrophes naturelles, épidémies, lait qui surit, mauvaises récoltes, accidents, disettes et même Le simple chagrin ou l'inévitable coup de tonnerre. Ajoutons à cette liste déjà longue la veuve accusée de sorcellerie par un parent qui convoite son lopin de terre, une femme séduisante accusée par une envieuse, une jeune fille ayant des dons de clairvoyance ou qui affectionne les animaux, les chats en particulier. Bref, tout peut être prétexte aux accusations de sorcellerie. D'autant plus que trouver une coupable est plus simple que de chercher une explication logique ou d'admettre sa part de responsabilité.

La tâche des inquisiteurs est facilitée par le fait que n'importe qui peut porter des accusations. Même la parole d'un enfant simple d'esprit ou effrayé par les histoires de sorcellerie est jugée valide.Dans son ouvrage sur les sorcières, J.M. Sallman écrit que vers 1644, un jeune berger sillonne la Bourgogne en prétendant repérer, dans la prunelle de leurs yeux, la marque diabolique des sorcières. Il parvint ainsi à en trouver 6 210 ! Imaginez à quel point la peur est omniprésente chez la plupart des femmes de cette époque.

Cette folie collective est alimentée par le pouvoir religieux, car la sorcière, par ses rituels, fait appel à un pouvoir autre que celui de L'ÉgLise, minant ainsi l'autorité du prêtre. Ce n'est donc pas parce qu'elles font le mal qu'elles sont éliminées. Sprenger et Kramer, deux tristement célèbres inquisiteurs dominicains, ont rédigé un manuel à l'usage des inquisiteurs, Le Malleus Maleficarum (le marteau des sorcières) dans lequel ils écrivent que "personne ne fait plus de tort à L'ÉgLise que les sages-femmes. Nous devons rappeler que par sorcières nous entendons aussi celles qui sauvent, délivrent du mal. " (Josette Dall'Alva Santucci).

D'autres représentants de L'ÉgLise déclarent que si la femme ose guérir sans avoir étudié, elle est sorcière et doit mourir. Or, Les femmes sont exclues des facultés de médecine dès 1460. Marilyn French, professeur à Harvard, précise que les procès de sorcellerie "intentés aux guérisseuses servaient aussi à marquer une nette distinction entre médecins et guérisseuses: ils élevaient les hommes à un niveau intellectuel et moral où ils étaient les alliés de Dieu et de la Loi et dégradaient les femmes en les ravalant à un statut sous-humain d'alliées du diable, des ténèbres, du mal et de la magie". Elle ajoute que ces procès reflètent la volonté d'exclure les femmes qui ne se soumettent pas aux normes "mâles" de l'époque. Car la peur que les hommes ressentent à l'égard des femmes est inextricablement liée à la chasse aux sorcières. Au Moyen Âge, les méthodes d'apprentissage des guérisseuses sont empiriques et leur école est la nature ainsi que le corps humain. En effet, si les sorcières sont parfois accusées de piller les tombes afin de vendre les enfants au Diable, c'est que certaines d'entre elles le faisaient effectivement, mais dans le but d'apprendre l'anatomie à partir des cadavres. Et leurs méthodes d'apprentissage portent fruit.

Dans les faits, le savoir des sorcières était tel qu'en 1527, Paracelse, l'un des meilleurs médecins de son temps, "brûla toute la médecine, déclara ne savoir rien que ce qu'il apprit des sorcières. " (Szasz). Plusieurs sorcières interdisaient la divulgation de leurs rites parce qu'elles croyaient que l'énergie spirituelle est liée au secret. Cependant, bon nombre de leurs rituels et connaissances ont traversé les siècles. Nous utilisons encore plusieurs remèdes qu'elles ont découverts, tels que la digitale, employée aujourd'hui pour soigner les maladies du coeur, et l'éphédrine, avec laquelle on traite l'asthme et le rhume des foins.

Les livres de magie blanche publiés ces dernières décennies s'abreuvent souvent aux sources les plus anciennes, celles-là même qui inspiraient les sorcières. Par exemple, dans "Rituels secrets de magie blanche", les génies de la cabale, Jean-Marc Pelletier précise que plusieurs des rituels qu'il décrit sont vieux de plusieurs siècles et Michelle V. Chatellier écrit, dans Rituels de bougies, que "l'utilisation de bougies de rituel, sous une forme ou une autre, se fait depuis des siècles. Dans Les mystères religieux de l'Antiquité, la lumière était le symbole de la connaissance, de la spiritualité, et représentait aussi le contact avec la divinité elle-même"

...Celles-ci (le féminin que j'utilise inclut les sorciers) se définissent comme étant tout à fait "ordinaires" dans le sens où elles ont une vie semblable à la plupart des gens. Elles oeuvrent dans n'importe quelle sphère d'activité - l'une est agente de sécurité alors qu'une autre est technicienne de laboratoire - et leur vie sociale n'est guère différente de la nôtre. Une d'entre elles dira qu'il est fort possible qu'une sorcière soit votre voisine sans que vous ayez le moindre doute à ce sujet. Celles qui font partie d'un groupe de sorcières se réunissent à des moments précis de l'année pour effectuer des rituels au cours desquels elles créent un cercle magique, dansent, chantent, adressent leurs prières aux divinités. Pour adorer dieux et déesses, disent-elles, nul besoin de temples ou d'églises. Elles confient être attentives aux cycles de la vie, à tout ce qui les amène à se responsabiliser. Elles considèrent que le fait d'être sorcières constitue une façon de reconnaître le Divin, d'être en contact avec Lui, de prendre conscience de leur pouvoir d'apporter des changements dans leur vie. Ainsi, la magie blanche est une façon d'intégrer la spiritualité dans leur quotidien. Étant toutes égales dans le groupe (il n'y a pas de gou-rou), elles se sentent libres de faire ce qu'elles veulent dans la mesure où elle ne font de mal à personne. Elles n'ont aucun lien avec les groupes sataniques, car elles croient profondément à la toi du karma et y ajoutent un aspect : non seulement le mal que nous avons commis nous revient, mais il le fait avec trois fois plus d'intensité. Bien sûr, cette " loi " s'applique aussi pour le bien. Mais il n'est pas nécessaire de faire partie d'un groupe pour être une sorcière blanche. L'une d'elles dit pratiquer seule ses rituels, considérant que, beaucoup plus que le résultat, c'est le temps consacré au rituel magique qui importe. Lorsqu'elle est amoureuse et qu'elle veut séduire l'être aimé, c'est le temps passé à concocter une potion magique qui compte vraiment, car il représente un moment d'arrêt pour penser à l'être aimé. Dans son Livre, "La magie blanche, recettes de sorcières", le journaliste et éditeur Éric Pier Sperandio écrit que "lorsqu'on soulève le voile de mystères et de préjugés qui entoure la magie et qu'on regarde celle-ci sans peur, on découvre que les pratiques de magie ne sont qu'un moyen d'utiliser l'énergie qui nous entoure, qu'elle provienne de la terre, de l'univers, du cosmos ou de l'intérieur de nous-même. On se rend compte que les rituels, les invocations, les recettes magiques ne servent qu'à augmenter et à renforcer notre volonté. Ils nous aident à concentrer notre attention et nous permettent de puiser dans des réserves spirituelles et émotives dont nous avions toujours ignoré l'existence". Il ajoute plus loin que les sorcières sont simplement des personnes qui croient pouvoir libérer les énergies présentes dans la terre, le feu, l'eau, les pierres et les plantes afin d'apporter un changement positif dans l'un des aspects de leur vie. Il mentionne que la magie est "simplement un processus qui utilise des énergies naturelles pour matérialiser, provoquer des changements". Il continue en donnant des recettes secrètes de potions magiques, de bains rituels et d'outils pour les sorcières contemporaines du nouvel âge. Je le dis franchement, certains rituels de magie me laissent extrêmement perplexe.

Dans son très beau livre, "Les sorcières", la fabuleuse écrivain Érica Jong explique la fascination actuelle pour la magie par le fait "que les gens ont besoin de rituels, de techniques de méditation et de prière, de la conviction qu'individuellement et en commun, ils peuvent influencer (sinon contrôler) leur environnement. [ ... ] Ces rituels doivent conforter et centrer le moi, procurer de l'énergie en des temps difficiles". Ainsi, nous aurions tort de nous baser sur le côté apparemment farfelu de certains rituels collectifs pour les juger comme étant un spectacle vide de sens. Le rituel sert de tremplin à la force de l'imaginaire et du désir. Il facilite le lien avec les forces inconscientes. Il est un temps d'arrêt qui reflète le désir réel de se transformer. Dans l'un de ses romans intitulé Fonny, Érica Jong fait dire à l'un de ses personnages - une sorcière - que le talisman le plus efficace ou le meilleur rituel est celui qui ranime notre courage et qui ravive notre foi en nos propres pouvoirs. Dans son ouvrage sur les sorcières, Jorig mentionne toutes les fêtes soulignées par les sorcières, dont celle de Halloween, qui est intimement liée à la sorcellerie. Cette fête, que l'on retrouve chez les druides, est dédiée "aux feux de joie, à la récolte, incorporant l'idée de récolter à la fois les fruits de la terre, l'âme des morts. C'est le moment de l'année où la déesse de l'été transmet son pouvoir au dieu de l'hiver". E.P. Sperandio, mentionné précédemment, souligne pour sa part que l'Halloween marque La fin d'une année et le début d'une autre et qu'elle est la fête sacrée la plus importante. Il ajoute que " les anciens affirmaient que c'est au cours de cette nuit-là que le voile entre notre monde et celui des esprits - des personnes décédées - est le plus fin et - que par conséquent, les âmes des êtres qui sont décédés peuvent revenir sur la terre pendant quelques heures". Ainsi, ils croyaient que, "du coucher au lever du soleil, la communication avec les esprits est facilitée". Les soirs de pleine lune sont aussi des moments où les sorcières accomplissent des rituels afin d'accueillir le pouvoir de la déesse.

Ce rituel, précise Jong, est "accompli la première nuit de pleine lune, à minuit, l'heure des sorcières. Méditations, incantations, danses, chants concourent à évoquer la déesse". La cérémonie débute comme suit : "les sorcières modernes oeuvrent habituellement en groupe réunissant traditionnellement treize femmes, mais pouvant aller de trois à vingt membres. Le groupe commence par "jeter le cercle", isolant et purifiant le lieu saint où adviendra la magie, où se manifesteront dieux et déesses, où le temps sera aboli, où la foi s'incarnera. D'un diamètre de neuf pieds, le cercle magique est "jeté" - tracé dans l'air - avec l'athame. Il remplit la fonction d'intermédiaire entre deux mondes, le royaume des cieux et celui des humains. Dans ce cercle, les forces cosmiques vont se concentrer. Nous savons toutes - que nous méditions en groupe, dansions en groupe, priions en groupe, ou pratiquions le yoga en groupe - que nous sommes des créatures sociales, capables de créer de l'énergie psychique par un travail en commun, en vue de buts communs. Pour la congrégation des sorcières, la concentration de l'énergie psychique est le fondement de toutes les pratiques." Même si certains auteurs, tels que M. Chatellier, pour ne citer que cette dernière, affirment que l'aspirant à la magie cérémonielle doit "adopter une discipline sévère, s'astreindre à une ascèse, à un entraînement rigoureux et qu'il doit d'abord connaître les lois occultes qui régissent notre univers", beaucoup de personnes pratiquent la magie blanche ou intègrent des rituels dans leur vie sans nécessairement se définir comme sorcières ni avoir fait un long apprentissage issu de la tradition ésotérique. Pour ce faire, elles achètent des objets qui nous sont familiers, tels que les pierres précieuses, les bougies, les talismans, les cristaux, les encens, les huiles ou d'autres qui sont moins connus, comme les livres-rituels.

D'autres sorcières "anonymes" intègrent la magie à leur pratique après avoir fait un long cheminement spirituel. C'est le cas de Mary Muryn qui, dans son livre, "la magie de l'eau", raconte que son arrière-grand-mère était médium et sorcière et que, dans son village de Carpates (en Ukraine), médiums et guérisseurs étaient nombreux : "tout le monde croyait aux esprits de la nature. Les brins d'herbe pouvaient se parler entre eux, de même que les arbres. En outre, on devait traiter les esprits des royaumes animal et végétal avec tout le respect qui leur était dû, puisqu'ils étaient nos frères aînés sur cette planète". Elle raconte qu'ils ont souvent été chassés des parcs d'attractions parce que son père était un médium fabuleux qui pressentait quel bon numéro choisir, remportant ainsi trop de prix! C'est au contact de chamans, de gourous, de guérisseurs, de rabbins et de prêtres que Mary a développé ses facultés métapsychiques et ses pouvoirs de guérison. Elle a aussi étudié les plantes médicinales, la guérison naturelle, l'homéopathie, les cristaux, la réflexologie, l'imposition des mains, le tarot, l'astrologie, la métaphysique, la thérapie de la polarité, la guérison spirituelle. Elle a participé aux rituels de la tribu macumba (Brésil) et a étudié les rituels des cristaux auprès d'une indienne cherokee. Enfin, elle a appris la thérapie par les couleurs, la guérison énergétique, les voyages hors du corps, la visualisation, le pouvoir de l'esprit et la clairvoyance auprès d'un moine jaïna. Bref, son savoir est tel qu'il y a de quoi faire saliver plusieurs sorcières !

Il y a, à notre époque, un assez grand nombre de personnes dont le cheminement est tel que leur pratique apparaît magique aux yeux de ceux qui les côtoient. Dans le numéro de mai de Lumière, une travailleuse sociale disait de Ma Premo qu'elle était "peut-être une sorcière guérisseuse qui s'amuse à faire vibrer ceux et celles qui la croisent. Peut-être a-t-elle une baguette magique qui a le pouvoir de vous initier aux plaisirs de célébrer la vie, n'est-ce pas là le propre de la Sorcière blanche, héritière d'un nouvel Age ?

 

Conseils livres :

- "Des sorcières aux mandarines. Histoire des femmes médecins" de Josette Dall'Ava-Santucci - Ed. Calmann-Lévy - "Les sorcières. Fiancées de Satan" de J.Michel Sallmann, Ed. Découvertes Gallimard - "Sorcières" d'Erica Jong - Ed. Acropole - "La fascination du pouvoir" de Marilyn French - Ed. Acropole (10 pages consacrées au sorcières) - "La magie de l'eau" de Mary Muryn - Ed. de Mortagne - "La magie blanche" d'Eric Pierre Sperandio - Ed. Quebecor - "Création de talisman et rituels de bougies" de Michèle V. Chatellier - Ed. Quebecor - "Rituels secrets de magie blanche. Les génies de la cabale" de J. Marc Pelletier - Ed. Edimag - "La sorcière blanche" de Sonia Lazareff - Ed. du Dauphin - "La Magie"' de Jean Servier - Que sais-je ?